
 🇧🇯 Bénin : l’ère Talon marque un record historique d’exilés politiques et médiatiques
Depuis l’indépendance du Bénin en 1960, le pays a traversé divers régimes politiques – du marxisme-léninisme du PRPB aux transitions démocratiques post-1990. Mais aucun de ces cycles, aussi autoritaires ou fragiles fussent-ils, n’a produit autant d’exilés politiques et médiatiques que la période comprise entre 2016 et 2025, sous la présidence de Patrice Talon.
Ce que les défenseurs des droits humains qualifient aujourd’hui de recul démocratique majeur, trouve ses racines dans les premières années du régime. Élu en 2016 sur une promesse de rupture, Patrice Talon s’était engagé à renforcer la gouvernance, l’État de droit et la liberté d’expression. Neuf ans plus tard, le constat est amer : jamais le Bénin n’a autant vu fuir ses figures politiques de premier plan, ses intellectuels critiques, ni ses journalistes.
Une presse bâillonnée, des plumes en exil
Le virage autoritaire s’est affirmé avec l’intimidation de la presse, le démantèlement progressif des organes critiques et la criminalisation de l’opinion indépendante. À ce jour, au moins cinq journalistes béninois vivent en exil forcé, selon des sources croisées de médias béninois. Ils ont trouvé refuge à Lomé, Paris, ou encore Abidjan. Leurs rédactions ont été fermées, leurs médias suspendus ou lourdement sanctionnés pour « diffamation », « incitation à la haine » ou « atteinte à la sûreté de l’État ».
Pour les opposants politiques, le tableau est encore plus sombre. Depuis 2018, on assiste à une vague continue de départs, contraints par des mandats d’arrêt jugés abusifs, des poursuites judiciaires ciblées ou des menaces directes. Figures majeures de la scène politique – anciens ministres, parlementaires, leaders d’opinion – ont été poussés à l’exil, brisant un précédent démocratique que le Bénin avait laborieusement bâti depuis la Conférence nationale de 1990.
Une tendance sans équivalent en cinquante ans
Entre 2016 et 2025, le pays a enregistré le plus haut nombre d’exilés politiques en un seul cycle de gouvernance depuis la fin de la dictature militaire. À titre comparatif, la période du PRPB (1972–1990), longtemps considérée comme l’une des plus répressives, n’a pas connu une telle fuite massive de cerveaux politiques et médiatiques. Selon plusieurs analystes internationaux, ce tournant est symptomatique d’une concentration accrue du pouvoir exécutif, combinée à une instrumentalisation de la justice et une fermeture quasi-totale de l’espace public.
Une démocratie vitrifiée sous le vernis des grands travaux
Dans un contexte de rigueur économique croissante et de tensions géopolitiques avec les voisins comme le Nigeria et le Niger, la tentation autoritaire s’est durcie. Le port de Cotonou, autrefois moteur économique régional, a vu son trafic chuter drastiquement au profit de Lomé, aggravant la précarité sociale. Si le gouvernement met en avant d’ambitieuses réformes et des investissements massifs en infrastructures, les montages financiers restent opaques, les niveaux d’endettement préoccupants, et les marges de manœuvre sociales limitées.
Les institutions démocratiques, autrefois solides, ont été progressivement affaiblies. Le droit de grève a été restreint, les magistrats mis sous tutelle, les syndicats surveillés, et les partis d’opposition réduits à l’inaudible.
L’urgence d’un bilan international
Alors que la communauté internationale reste en grande partie silencieuse face à cette dérive, les exilés – qu’ils soient journalistes ou hommes politiques – tirent la sonnette d’alarme. Ils interpellent les organisations internationales, les chancelleries et les médias sur la nécessité de remettre les droits humains au centre de la coopération avec le Bénin. Si rien n’est fait, préviennent-ils, le « laboratoire de démocratie » qu’était le Bénin pourrait devenir un cas d’école du recul autoritaire en Afrique de l’Ouest.