
Bénin : Une commission parlementaire face au mur de la corruption sélective
C’est un vent d’interrogation qui souffle sur Porto-Novo depuis l’annonce officielle, ce lundi 7 juillet, de la création d’une commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur la gestion des milliards de francs CFA injectés dans les secteurs de l’eau et de l’énergie à Parakou, entre 2016 et 2025. Cette initiative, fruit du tollé déclenché par les déclarations controversées de l’ex-ministre Paulin Akponna, suscite autant d’espoirs que de scepticismes dans un Bénin où la lutte contre la corruption reste, pour beaucoup, un slogan à géométrie variable.
Un électrochoc politique sans précédent
Il a suffi de quelques mots lâchés publiquement à Parakou pour que le rideau se lève sur ce qui pourrait être l’un des plus vastes scandales de gestion publique des dernières années au Bénin. Paulin Akponna, éjecté brutalement de son poste pour avoir évoqué un « siphonnage de dizaines de milliards », a mis à nu une réalité que de nombreux observateurs soupçonnaient sans pouvoir la nommer.
Face à la pression populaire et médiatique, l’Assemblée nationale, à majorité présidentielle, a fait le choix stratégique de désamorcer la crise en ouvrant une enquête parlementaire. Le Président Louis Vlavonou, dans un souci affiché de transparence, a salué la mise en place de cet organe, chargé de fouiller dix ans de contrats, de décaissements et d’avenants.
Mais au-delà de l’affichage institutionnel, une question persiste : cette commission a-t-elle réellement une chance d’aboutir à des résultats probants dans un environnement où l’appareil judiciaire et les organes de contrôle sont, de longue date, accusés de partialité ?
La lutte anticorruption sous Talon : entre affichage et sélectivité
Depuis son arrivée au pouvoir en 2016, Patrice Talon a érigé la bonne gouvernance en credo politique. Des audits éclairs, des limogeages spectaculaires et même des poursuites judiciaires ont ponctué ses mandats. Pourtant, de nombreux dossiers sensibles ont disparu dans les limbes administratives, illustrant une pratique sélective de la lutte contre la corruption. Des proches du régime, parfois cités dans des affaires de détournements ou de marchés publics douteux, n’ont jamais été inquiétés.
L’affaire Akponna illustre ce paradoxe : un ministre est limogé après avoir levé un coin du voile, mais les personnalités soupçonnées d’être au cœur du « siphonnage » semblent, pour l’heure, bénéficier d’une étrange bienveillance. La justice reste silencieuse. La presse, muselée ou exilée, peine à maintenir la pression.
Dans ce contexte, la composition même de la commission interroge : dominée par l’Union Progressiste le Renouveau (pro-Talon) et le Bloc Républicain (allié du pouvoir), seuls trois sièges reviennent au principal groupe d’opposition, Les Démocrates. L’indépendance des travaux paraît donc fragile, d’autant que l’histoire parlementaire béninoise enseigne que peu de commissions d’enquête ont abouti à des sanctions exemplaires.
Des commissions à répétition, pour quels résultats ?
L’expérience béninoise, mais aussi d’autres pays africains tels que le Nigeria ou le Cameroun, montre que les commissions d’enquête parlementaires ont rarement débouché sur des réformes structurelles ou des condamnations judiciaires solides. Trop souvent, ces organes sont utilisés comme des soupapes pour désamorcer la colère publique, donner des gages de transparence à la communauté internationale, avant de sombrer dans l’oubli bureaucratique.
Un test politique pour la fin de règne
Ce nouvel épisode intervient à un moment charnière. À moins d’un an de la fin théorique du deuxième mandat de Patrice Talon, des interrogations pèsent sur son avenir politique et sur sa volonté réelle de céder le pouvoir sans manœuvre de prolongation. La gestion de cette affaire Akponna pourrait devenir un indicateur crucial de la sincérité du régime sur la question de la gouvernance. Si la commission venait à étouffer les faits ou à livrer des conclusions édulcorées, elle ne ferait qu’accentuer le désenchantement d’une partie de la population et renforcer l’image d’un pouvoir peu enclin à se réformer.