🌍 CEDEAO : Patrice Talon appelle à l’autonomie économique — Un tournant ou un vœu pieux ?
 C’est une phrase forte, presque lapidaire, qui a marqué les esprits à la 67e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, tenue le 20 juin à Abuja : « L’aide internationale n’existe plus et n’existera plus. » En une déclaration, Patrice Talon, président du Bénin, a remis au centre des débats une exigence longtemps reléguée au second plan : l’autonomie économique du continent africain, et plus précisément de l’Afrique de l’Ouest.
Dans un contexte régional marqué par l’érosion de la légitimité de la CEDEAO — fragilisée par les départs successifs du Mali, du Burkina Faso et du Niger — le message du président béninois se veut à contre-courant des attentes traditionnelles vis-à -vis des bailleurs occidentaux. Son discours, parsemé d’allusions à la souveraineté économique, semble passer pour un appel au réveil face à un système d’assistance internationale de plus en plus perçu comme inefficace, voire toxique.
Une critique assumée du paradigme occidental
Pour appuyer son propos, Patrice Talon n’a pas hésité à prendre les États-Unis comme contre-modèle. « Le pays le plus puissant du monde défend ses intérêts au centime près », a-t-il souligné, interprétant l’approche commerciale agressive de Washington comme un signal fort. Il est allé jusqu’à suggérer que l’Afrique devrait remercier Donald Trump « pour ce coup de fouet » en forme de leçon de réalisme.
Ce positionnement, rare dans une enceinte CEDEAO souvent marquée par des discours de façade, soulève néanmoins plusieurs interrogations : la rupture avec l’aide extérieure est-elle un projet réaliste ? Les États ouest-africains ont-ils aujourd’hui les moyens structurels, politiques et institutionnels de soutenir une telle ambition ?
Une initiative Bénin-Nigeria à surveiller
Dans le même souffle, Patrice Talon a dévoilé une initiative bilatérale ambitieuse : une intégration économique entre le Bénin et le Nigeria. Une annonce saluée par une partie de la salle, qui voit là un possible modèle d’intégration pragmatique dans un espace communautaire largement perçu comme en panne.
Mais cette volonté d’agir « à deux » n’est pas sans susciter des réserves. Plusieurs diplomates présents ont exprimé leurs craintes face à ce qu’ils considèrent comme un contournement des mécanismes collectifs de la CEDEAO. « Une intégration à deux vitesses ne doit pas se substituer à la solidarité régionale », confie un responsable ghanéen sous couvert d’anonymat.
Faiblesses structurelles et contradictions
Au-delà des mots forts, plusieurs diplomates pointent les contradictions internes du Bénin, où les tensions sociales, les restrictions de liberté et l’hyperprésidentialisme affaiblissent la vitalité démocratique, pourtant essentielle à tout projet de développement durable. De même, la dépendance persistante à l’égard du franc CFA et la fragilité du tissu industriel interrogent sur la capacité réelle du pays à incarner un changement de paradigme.
Le Nigeria, de son côté, est lui-même englué dans une instabilité sécuritaire et une inflation chronique, rendant toute intégration asymétrique potentiellement risquée. Sans réformes profondes et une feuille de route clairement définie, l’ambition d’une union économique Bénin-Nigeria pourrait rester symbolique.
Un tournant ou une posture ?
La déclaration de Patrice Talon, si elle marque une rupture de ton salutaire, s’inscrit dans un contexte où la CEDEAO traverse l’une de ses crises les plus graves depuis sa création. Loin de renforcer l’unité, les dernières années ont vu s’éloigner plusieurs pays clés du projet communautaire. Dans cet environnement morcelé, les appels à l’autonomie économique ne peuvent porter que s’ils sont adossés à une réelle volonté de réformer les institutions, renforcer les chaînes de valeur locales et bâtir une solidarité interétatique authentique.
La 67e session d’Abuja restera donc, peut-être, comme celle où un président de la CEDEAO aura dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Mais l’histoire jugera sur pièce : ce discours audacieux sera-t-il le point de départ d’une refondation du projet ouest-africain, ou bien un de ces nombreux appels à l’émancipation restés sans lendemain ?
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